On se réveille avec dans la tête Baby Don't You Do It des Clarendonians qu'on ne trouve pas sur toitube mais qu'on trouve en revanche listé dans la compilation faite maison et intitulée Abschiedslieder, donc chansons de rupture, et dont il avait déjà été question ce jour-là. On s'étonne que les accords de clarinette résonnent sans… raison, puisqu'on ne voit décidément pas pourquoi ils s'imposent - même si, à l'écoute à la réécoute, on comprend mieux: de fait, les "musiques du matin" (ainsi qu'on les appelle) ne sont qu'un prolongement éveillé et conscient de l'activité onirique, endormie et inconsciente. Et puis on réentend cette phrase qui ne cesse chaque fois de nous étonner: "You took my pride and you made me cry, darling, but I still love you" - et là encore, bien que dans l'instant elle nous dépasse (on a un peu de mal à associer la rupture et la trahison amoureuse avec une atteinte à la fierté de la personne trompée et/ou quittée), on a au final pas trop de mal à se représenter que certaines personnes aient ce ressenti.
Bref.
La compilation continue de dérouler ses chansons de rupture et, deux morceaux après, commence les accords de mod reggae de I'm Ashamed de Little Willie, sorti chez Blue Beat en 1963. De la fierté on passe donc à la honte, et on s'étonne à présent de cette pensée immédiate qui nous fait croire un instant que, dans le domaine de l'amour, ces deux sentiments sont sinon identiques, en tout cas les deux faces d'une même pièce. En est-il vraiment ainsi? La question nous plonge des abîmes de perplexité et on se dit qu'on n'a pas envie d'être envahi par le doute de si bon matin.
On revient à la chanson.
On l'écoute d'abord.
La chanson raconte donc l'histoire d'un homme plaqué par une fille et qui a honte de dire la vérité à ses amis. Il a eu beau aller frapper à la porte de la fille et l'implorer de ne pas rompre, sa décision à elle était définitive: c'est terminé. Elle dit: "Please, get off of my side." Et lui, il dit quoi? Il dit et il répète: "I'm gonna fuck off". Et cette répétition de "I'm gonna fuck off" fait écho à l'autre phrase liminaire elle aussi répétée: "I'm ashamed". Et on a alors l'insidieuse (?) impression de retomber sur ses pieds, de retomber sur cette pseudo-dichotomie entre la fierté et la honte, de ne pas pouvoir en sortir, d'être face à une interrogation poisseuse qui nous colle à la peau et ne se desquamera pas tant qu'on n'aura pas étudié, examiné à fond sa nature.
Comme on a souvent des airs de Saint-Thomas de la lexicographie et que, donc, on ne croit que les sens qu'on voit, on va tout de même vérifier et, pas loupé, honte est indiqué comme antonyme possible de fierté:
Et ensuite?
Ensuite on se dit qu'il y a une connexion sémantique qui ne se fait décidément pas du point de vue cérébral. Comme si on se faisait expliquer un mot qu'on ne comprenait toujours pas au bout d'une demi-heure. Quand on pense à cette antonymie entre honte et fierté, surgit une espèce d'espace blanc dans le champ cérébral, un espace blanc ou une feuille blanche ou les deux à la fois.
Après avoir écouté douze fois de suite I'm Ashamed, pour comprendre les tenants des aboutissants et pour au final constater qu'on n'est pas mieux loti qu'au début, on se réconforte en pensant à la fin de la chanson qui répond au "I'm gonna fuck off" par: "And it won't be wrong any more". Voilà. Et c'est là-dessus qu'on va se quitter: sur un constat d'échec cognitif mais sur une promesse de mieux-être affectif.
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