Et si on est bien content que le Portugal soit éliminé, on pense évidemment à la magnifique et implacable écriture désespérée de Fernando Pessoa, lui qui disait, dans le Livre de l'intranquillité: "On dirait que je cherche, à tâtons, un objet caché je ne sais où, et dont personne ne m'a dit ce qu'il est."
Et ce substantif, intranquillité, il n'existe pas en français - du moins à en croire les dictionnaires qui ne l'ont toujours pas ni reconnu ni accepté ni inclus (que fait la police?!). Voici par exemple ce que nous dit le TLF:
Il s'agit d'un néologisme que l'on doit à la traductrice, Françoise Laye. Dans sa préface à la première édition (1988) de la traduction française, elle avouait certes son impuissance face aux "anomalies de langage", soulignait certes "les innombrables ruptures ou violations de syntaxe, les images abruptes, les audaces, les néologismes, les obscurités, les mélanges de style", or non seulement elle a fait un travail re-mar-quable, mais se doutait-elle de la fortune lexicographique qu'elle allait rencontrer en inventant ce mot?
Que nous dit Wikipédia à propos du terme en question?
Si on cherche les occurrences du néologisme dans gougueule, on se rend compte qu'on obtient 48 700 résultats qui certes ont énormément trait au livre de Pessoa, mais proviennent beaucoup de pages consacrées à la psychanalyse qui semble avoir goûté au mot au point de l'employer. De même, Louise Attaque en a fait le titre d'une chanson qu'on peut écouter ici. C'est dire à quel point Françoise Laye a été brillante: son invention est passée à la postérité.
Pour un traducteur, les néologismes sont toujours problématiques à plusieurs points de vue. Non que l'on soit empêché d'en créer, censuré par les éditeurs ou les correcteurs, mais souvent le traducteur n'ose pas - et de cela aussi, il faudrait parler: l'espèce de censure intérieure que beaucoup d'entre nous ont, moi le premier, cette tendance un peu lourdaude à polir le langage, à en gommer certaines aspérités alors que les écrivains de langue française peuvent se le permettre. De fait, il y a tout de même une certaine impossibilité à l'expérimentation sémantique; il y a cette traditionnelle surveillance de la langue traduite qui souffre parfois d'excès d'hypercorrections. Et bien qu'on assiste depuis une petite dizaine d'années à un desserrement du corset linguistique, il n'est tout de même pas rare d'affronter le refus éditorial.
Je me souviens de cette remarque que j'avais reçue en pleine figure à l'époque où j'avais traduit Autant en emporte la femme d'Erlend Loe. Le roman était une fantaisie situé dans le droit fil de La Salle de bain (sans S à bain) du Jean-Philippe Toussaint: tant dans la forme, dans l'histoire et dans l'écriture, l'influence de l'écrivain belge sur l'écrivain norvégien était partout présente. Une des caractéristiques stylistiques de l'écriture de Toussaint porte sur le grammaire. L'écrivain a en effet recourt à l'imparfait de narration, lequel a valeur de passé simple mais permet de restituer l'inachevé d'une action, son prolongement dans le présent, son influence récurrente sur le présent. Pour ma traduction, j'avais donc copié cet imparfait de narration. Que n'avais-je pas fait… Et je m'étais entendu dire: "Tu n'es pas Marguerite Yourcenar." Ah bon? Ah tiens, je m'en étais pas rendu compte…
Bref.
Allez, on écoute un passage de Fernando Pessoa.
D'abord en français. Puis, en-dessous une lecture en portugais avec des sous-titres en anglais.
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