jeudi 24 juin 2010

La barbe!

Juste avant d'aller se sustenter en un mot, on traduit cette phrase fastoche qui ne pose aucune question:
Il a des cheveux blonds, une barbe, des lunettes de soleil.

Mais en lisant le mot barbe, on songe à la locution: la barbe!
Elle vient d'où?
Le Robert des expressions et locutions nous indique:
BARBE n.f.
Vieille barbe "vieillard ennuyeux". L'ancienne locution jeune barbe signifiait "jeune homme sans expérience". Après avoir été longtemps associé à la sagesse, le mot barbe est lié en français moderne à l'idée d'ennui (cf. les emplois lexicalisés: la barbe! barber, barbifier, ça me rase, etc.). Barbon, qui exprime la même idée, est archaïque, et vieille barbe ne s'emploie plus guère pour désigner un personnage concret, mais d'une manière abstraite, un professeur, un auteur ennuyeux, etc.

D'accord.
Autre chose? Non. Sinon que ce sémantisme, nous précise le Robert historique de la langue française, est relativement récent - ce qui nous surprend au demeurant:
◊ La notion d'ennui, réalisée dans les expressions familières faire la barbe (1866) et, elliptiquement, la barbe (1881), procède probablement de rébarbatif, employé avec un sens analogue dès le XVIIe siècle (cf. raser et ci-dessous barber). Cette valeur, aussi réalisée exclamativement (la barbe!) a vieilli.
BARBER v. tr. apparaît relativement tard en moyen français (1397) au sens propre de "faire la barbe", sorti d'usage au profit de raser (XVIIIe siècle) ◊ Le sens figuré "ennuyer" (1882), d'abord argotique puis familier, procède par synonymie de l'emploi familier de raser sous l'influence du sens de rébarbatif.

Aussi consciencieux que curieux, on va voir dans le même dictionnaire à rébarbatif:
RÉBARBATIF, IVE adj. est en général considéré comme dérivé (v. 1360), avec un suffixe savant, de l'ancien français (se) rebarber "faire face à l'ennemi, regimber" (v. 1250), proprement "faire face barbe contre barbe" (…) ◊ Le mot caractérise d'abord une personne qui rebute par un aspect rude et comme hérissé, concurrençant et supplantant l'ancien rebarbe, dérivé de rebarber; il s'est dit au XVIe s. d'un peuple non civilisé. ◊ Au siècle suivant, il a développé le sens d'"aride et ennuyeux" (1670, Molière), resté usuel, à propos des personnes, des actes, des écrits, des œuvres.

Ce que les dictionnaires en revanche n'expliquent pas, c'est l'instant de collusion entre le sémantisme et la modernité.
Autrement dit: pourquoi, à un moment (qui plus est tardif) de l'histoire, brusquement, le langage considère tel sens imagé comme caractéristique d'une réalité? Les vieux barbons sont-ils, vers 1880, si ennuyeux, si dépassés, si éloignés du concret qu'ils en deviennent plus que jamais synonymes et images de l'ennui le plus ultime?

Un mot, supra, a néanmoins attiré notre attention: argotique.
Et si on allait vérifier dans nos dictionnaires d'argot?
Bonne idée.
Et là, dans le Larousse Argot & français populaire, qu'est-ce qu'on trouve?
Cette locution:
2. Se mettre une fausse barbe, pratiquer le cunnilinctus.
Pardon?
Tiens tiens… Intéressant. D'autant plus qu'aucun des Robert n'indique ces sémantismes, alors qu'on ne peut pas leur reprocher d'être des mère/père la pudeur…
(…)
… Oh oui, tiens, pourquoi on ne dirait pas Roberte au lieu de Robert? Pourquoi on n'adapterait pas à la lexicographie et à la linguistique le principe du projet artistique d'Agnès Thurnauer qui a détourné (notamment) le nom des artistes masculins en artistes féminins. Joseph Beuys est ainsi devenu Joséphine Beuys, Le Corbusier La Corbusier, etc - et dénoncer notamment l'hyperprésence des artistes masculins aux dépens des artistes féminins. On en voit une illustration ci-dessous:

© Agnès Thurnauer

Nous, on dirait ainsi:
J'ai consulté ma Roberte où Aline Rey précise que l'analyse linguistique de Pierrette Guiraud et de Claudine Hagège sont complètement erronées mais que, en revanche, le point de vue de Fernande de Saussure est tout à fait intéressant.

Pas mal, pas mal…

Mais revenons à nos histoires de barbe et de cunnilingus. D'ailleurs pourquoi les rédacteurs (eh oui, encore des -teurs et pas des -trices: Jean-Paul C., Jean-Pierre M. et Christian L.) parlent de cunnilinctus? Je croyais qu'on disait cunnilingus? Mais bon, ce que j'en sais moi, hein…
Que dit Pierrette Merle dans son Nouveau dictionnaire de la langue verte?
Se mettre une (fausse) barbe: pratiquer le cunnilingus [sic! - c'est moi, JB, qui souligne]. Remarque: l'épilation féminine étant devenue, de nos jours, quasiment une règle de bonne conduite, l'expression n'a plus, depuis une bonne dizaine d'années, de raison d'être. Aussi s'emploie-t-elle moins qu'auparavant en début de XXIe siècle. Mouiller la barbe: c'était, naguère, l'expression consacrée pour évoquer, chez une femme, le fait de satisfaire un besoin pressant.
Et, repensant à Agnès Thurnauer, liant son projet avec ce sémantisme de barbe qu'on ignorait, on pense forcément au tableau désormais hyper célèbre de Marcelle Duchamp, de 1919, L.H.O.O.Q., où l'artiste avait plaqué une moustache à Mona Lisa, ainsi qu'on le voit ci-dessous:

© Marcel Duchamp

Est-ce que Marcelle avait pensé à l'expression ci-dessous en composant son tableau? D'un pur point de vue linguistique, c'est d'autant plus possible que le mot barbe, indique le Roberte, renvoie à l'origine "aux 'poils du menton (et des joues de l'homme (incluant parfois la moustache)'"; et est étymologiquement identique au lituanien barzdá, au vieux slave brada, à l'ancien haut allemand Bart (en allemand moderne Bart signifie certes barbe mais moustache se dit dans sa composition Schnurrbart) et j'ajouterai enfin que, en scandinave, bart signifie bel et bien moustache. Le pastiche/postiche (hö!) de Marcelle s'intitulant L.H.O.O.Q., on peut doublement se demander s'il n'y a pas un lien entre le détournement artistique, l'image représentée et le sémantisme au final sexuel qui lie les poils du visage à ceux du sexe féminin? Bon, tout ceci n'est qu'une supposition. Mais on est sûr que M. saurait nous renseigner du pur point de vue de l'histoire de l'art. N'est-ce pas, M.?

On retourne une toute dernière fois à l'explication de Pierrette Merle car elle vaut quand même son pesant de cacahuètes. Qu'est-ce qu'il dit, Pierrette?
Ah oui. On re-cite (et on souligne):
Remarque: l'épilation féminine étant devenue, de nos jours, quasiment une règle de bonne conduite, l'expression n'a plus, depuis une bonne dizaine d'années, de raison d'être.
C'est pas un soupçon machiste, ça, quand même Pierrette?

Oh, la barbe!

Parce que justement, et c'est en fait uniquement à cause d'elles qu'on a produit cette longue réfléxion: c'est de La Barbe qu'on voulait parler. La Barbe, ce collectif féminin et féministe, ces empêcheuses de penser et faire mâlement en rond, ces trublionnes qui s'immiscent là où elles ne sont pas invitées, vêtues de… fausses barbes (ha ha ha! maintenant c'est encore plus drôle) et qui viennent rappeler à nos mâles politiques et nos mâles dirigeants (les vieilles barbes - re ha ha ha!) à quel point les femmes sont exclues de leurs cénacles.
On peut voir toutes leurs actions filmées sur toitube ou sur leur site. Mais on a choisi celle-ci, au Sénat, parce qu'elle fait intervenir le à jamais tristement célèbre Gérarda Longuet, qu'on avait déjà vu en action au même Sénat, sur ce même blog tatoué et fumeur, mais cette fois à propos de l'homosexualité.
Attention, vous êtes prié(e)s de ne rater aucun des propos de Gérarda Longuet, merci.

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