samedi 26 juin 2010

"What is in her mind?"

Coïncidences (comme on les aime) du travail et collision entre la traduction et la musique, je traduis:
Tu es rayonnante, Karoline, lui dis-je. Merci Abnash, me répond-elle. Ce n’est pas la robe que tu avais lors du déjeuner de Noël? demandé-je. Elle fait signe que non, arbore ce sourire rayonnant dont elle a le secret, elle rayonne. Karoline rayonne, tout chez elle rayonne: ses yeux, sa bouche, ses joues, ses bras, des mains, ses seins, ses cheveux. Mais tu as raison, répond-elle, elle aussi était rouge. Celle-ci me plaît encore davantage, réponds-je. Et voilà, à présent, Karoline me sourit et elle ne sourit qu’à moi, sans relâche.

Tandis que iTunes diffuse ce morceau que je ne connaissais pas des Folkes Brothers, de 1961, produit par Prince Buster et orchestré par Count Ossie, intitulé… Oh Carolina:



Dans le roman de Trude Marstein, l'énigme repose justement sur cette femme, Karoline. Karoline vient de fêter ses cinquante ans, a organisé une grande fête. Puis elle a disparu de son anniversaire. Où est Karoline? Le lecteur sait: Karoline a pris un train et a planté tout le monde. Visiblement, Karoline en ras le bol des gens, ras le bol de tous ces hypocrites.
Et, en vertu du pacte littéraire qui lie le narrateur et/ou écrivain à son lecteur, deux règles prévalent - en principe:
• le narrateur/écrivain veut le bien du lecteur
• le narrateur/écrivain ne ment pas à son lecteur
En principe, car dans ce roman kaléidoscopique et polyphonique (où chaque personnage devient narrateur le temps d'un chapitre), les points de vue sur ladite Karoline changent.

Ainsi, hier (hier pour moi, le traducteur), Viktor affirmait:
Karoline exalte les gens. Tout le monde fait un effort supplémentaire en sa présence : les conversations sont plus amusantes, plus intelligentes, plus réfléchies, cela ne fait aucun doute.
Avant-hier (toujours pour moi), sa belle-mère, Bjørg, disait d'elle:
Je ne connais pas Karoline. Au bout de vingt ans je ne connais toujours pas Karoline. (…) Tous les hommes adorent Karoline et s’épuisent à ne pas le montrer. Toutes les femmes détestent Karoline et s’épuisent à elles aussi ne pas le montrer.
Et la vieille encore (toujours pour moi), Julia avait cette discussion avec Sverre, le mari de Bjørg, à propos de de Karoline (Egil étant le mari de Karoline):
Je poursuis: Et je n’affirmerais pas non plus que j’apprécie énormément Karoline. Je ne crois pas que ce soit quelqu’un de bien pour Egil. Julia secoue lentement la tête: Pour personne elle n’est quelqu’un de bien. (…) Elle a bousillé mon frère, dit-elle alors, ce à quoi je réponds: Non, nous n’allons pas non plus rendre Karoline responsable de tous les maux de la terre, Julia… Karoline est aussi une femme merveilleuse. Qui a beaucoup de bons côtés, qui a beaucoup de bonnes choses en elle. Nous n’avons pas que des défauts et de mauvaises intentions, Julia… Elle: Certes, mais tout le monde ne passe son temps comme elle à détruire les autres! (…) Moi: Et puis, rendre Karoline responsable des inquiétudes de Peter n’est pas juste non plus. Elle n’a pas autant de pouvoir sur les gens que cela… Julia: Si, Sverre. Si, elle l’a ce pouvoir.

Alors qui est Karoline? Une garce? Une manipulatrice? Une femme merveilleuse?  Une femme qui révèle ce que les gens ont de mieux (ou de pire) en eux? Quelle est, au fond, l'influence d'un individu sur un autre? Est-ce qu'on change radicalement au contact d'une autre personne? Est-ce qu'on connaît jamais quelqu'un tout à fait?
La littérature s'est toujours passionnée pour ce motif: le regard de l'autre sur un individu, les intermittences de ce regard et des opinions, voire: la connaissance profonde d'un individu. Lawrence Durell, avec son Quator d'Alexandrie, proposait quatre regards sur un même événement et nous montrait que la vérité n'est jamais au rendez-vous. Antje Rávic Strubel, dans son Tupolew 164, relevait quant à elle ce défi narratif de présenter un personnage principal profondément ambigu, Katja Siems, en conservant jusqu'au bout un mystère total sur la véritable nature et identité de cette femme: personne ne saura jamais de quoi elle est faite.
Qui n'a jamais voulu entrer dans la tête des gens? Dans leur cerveau? Pour savoir ce et à quoi ils pensent vraiment? C'est notamment ce que donne à voir Trude Marstein dans son Faire le bien.

Et du coup, on pense forcément à la chanson de Lou Reed, Caroline Says (Part II), extraite de l'album Berlin, (hé hé… quelle énième belle coïncidence), de 1973, où il chante: "Caroline says / as she makes up her eyes / You ought to learn more about yourself / think more than just I (…) all of her friends (…) laugh and ask her / What is in her mind / what is in her mind"
Allez, on écoute Lou Reed:

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