Or, en vérifiant dans le TLF, je me rends compte que l'usage attesté - je veux dire: reconnu par les dictionnaires - est celui (et c'est moi qui souligne) de faire le fou. Ce que confirme le Robert en 6 volumes. Le sens est identique à celui induit dans le verbe folâtrer et désigne "une personne d'une gaieté vive et exubérante". Les emplois lexicaux recensés renvoient tous à un jugement qui n'est cependant pas dépréciatif mais amusé, presque attendri, comme par exemple ce Grand fou! qu'Alice Sapritch disait à l'envi; ou: Plus on est de fous, plus on rit; ou encore: Les enfants ont fait les fous toute la journée. Avec cette dernière phrase, on voit à quel point un fou, ici, d'autant plus parce qu'il est un enfant, est inoffensif. Il y a effectivement une idée d'innocence derrière cet emploi du mot fou (même si la modernité sarkozyste a tendance à nous faire croire le contraire, mais c'est une autre histoire).
Si je reviens maintenant à mon expression, et que je vais vérifier les usages dans gougueule, les occurrences, qu'elles soient indiquées au masculin ou au féminin, renvoient toutes quantitativement à 1) un animal, 2) un enfant, 3) un frère ou une sœur. Ce qui nous confirme si on en doutait l'affection qui sous-tend le sens de la locution. Là encore, quelqu'un qui fait son fou/sa folle est inoffensif, il provoque l'amusement et l'attendrissement. Et il peut sembler étonnant que "fait son fou" liste 76 800 résultats alors que "fait sa folle" 11 100 seulement. On sait le machisme linguistique à l'œuvre dans le lexique - j'en ai longuement parlé à diverses reprises sur ce blog tatoué et fumeur. Et on peut se dire qu'on y est encore une fois confronté. Mais c'est une preuve à l'envers. C'est-à-dire? La raison n'en est non pas quantitative mais qualitative. En l'espèce, ce n'est pas la récurrence qu'il faut observer mais la signification: comme le sens est positif, il va davantage décrire un homme qu'une femme. Si machisme linguistique il y a, il s'explique de cette manière. Je prends un autre exemple. Si je tape salope sur gougueule, j'obtiens 5 730 000 résultats. Si je tape salaud, je n'en ai que 413 000.
Un autre exemple? Pris celui-ci dans le Robert dictionnaire des expressions et des locutions:
Folle de son corps (XIXe s.) Se dit d'une femme "qui se livre sans retenue à la débauche" et s'emploie surtout sur un mode plaisant. Ce sens précis de fol "dévergondé" est attesté dès le XIIIe siècle (folle femme "femme de mauvaise vie"). On retrouve cette valeur dans faire folie de son corps.
Eh oui… Un homme ne peut visiblement pas être fou de son corps. Un homme ne peut visiblement pas se livrer à la débauche. Un homme est tout juste, ainsi que le chantait William Sheller en 1978, "fier et fou de vous". Le plus sordide, dans le fond, et cela confirme la fortune du mot salope, c'est que, en fin de compte, le sens négatif est devenu positif: une folle de son corps tout comme une salope est au final une femme pas si mauvaise que ça. Toujours dans le champ sémantique de la sexualité, ne dit-on pas d'une femme qu'"elle est bonne"? Dit-on d'un homme "qu'il est bon"? Non. Non, puisque le machisme linguistique induit qu'il l'est. Donc pas besoin de le préciser. Tout ce que le langage n'a pas besoin de préciser, il le supprime, puisque, au risque de me répéter, l'issue d'une langue vise la simplification, la suppression.Car, en revanche, une folle, dans le sens cette fois d'une aliénée, est quant à elle tout à fait et définitivement dangereuse. Comme l'écrivait Sara Stridsberg que je traduisais il y a 15 jours, et je la répète et la recite:
(une femme folle est un véritable scandale)
Du coup, je peux m'interroger sur ma préférence pour faire sa folle plutôt que faire son fou. Suis-je moi aussi le produit de ma culture? Suis-je moi aussi victime du machisme linguistique qui prévaut dans la langue française?
C'est possible. Ce n'est pas exclus.
Mais peut-être cet emploi de folle vient-il de son sens qui désigne l'homosexuel?
et que nous dit le dictionnaire sur ce sens?
Prenons d'abord le Robert en 6 volumes:
FOLLE: homosexuel qui affiche sa différence par un comportement outrageusement efféminé. Une grande folle. Quelle folle celle-là!
L'argot, pas plus que les autres Folles ses copines, Divine ne le parlait (…) Les tantes, là-haut, avaient leur langage à part. L'argot servait aux hommes.
Jean GENET, Notre-Dame-des-Fleurs, p. 64 (1951)
Alors ça c'est une mine!
Primo: Outrageusement efféminé. Être trop efféminé, pour un homme, c'est forcément un outrage. Et quand on montre sa différence, on l'affiche forcément. Donc être différent est négatif.
Secundo (et c'est moi qui souligne): Quelle folle, celle-là! Tout est au féminin. J'ai souvent remarqué que les homosexuels masculins, quand il voulait se moquer d'un des leurs, employaient un adjectif ou un substantif mis systématiquement au féminin. Et même s'il y a une part affective, il y a aussi une part dépréciative face au féminin, face au sexe féminin, face à la femme. Si on est un peu ridicule, pour un homme homosexuel, on tombe dans le féminin, on n'est plus tout à fait un homme.
Tertio: Ce qu'écrit Jean Genet: "L'argot servait aux hommes." Et le revoilà le machisme linguistique. Implicitement, de façon rampante. Même si la linguistique nous apprend que tout groupe, quel qu'il soit, invente toujours un langage en propre, qui doit demeurer incompréhensible pour le reste de la population. Confer l'argot des bouchers, confer le verlan, ou, pour les homosexuels britanniques, le fameux polari, cette langue inventée très en vogue dans les années 60, dont le néologisme camp a connu une fortune sémantique internationale.
J'aimerais rester une seconde sur cet emploi de folle en ce qu'il désigne l'homosexuel et voir quelle définition en propose le Larousse de l'argot et du français populaire, et ainsi constater quel regard est porté sur la folle.
folle n.f. Homosexuel à la mise et au comportement très efféminés: Il fendit le flot étourdissant des petites folles que le bal de l'apéritif du Moulin-Rouge attirait (Francis Carco, Jésus la Caille, 1914). Depuis deux ou trois ans, le carnaval des folles du bois [de Boulogne] a quasiment relégué les pédés aux musées du folklore (Alain de Goulène, le Bois la nuit, 1980). Folle perdue, folle tordue, même sens au superlatif: 1970, cette époque qui a inventé le has-been, les folles tordues, le quatrième sexe, les gazolines (Actuel, décembre 1983).
ÉTYM. emploi spécialisé et ironique de l'adjectif usuel, 1914, Carco. Ce mot a connu un grand succès populaire depuis le vaudeville de Jean Poiret la Cage aux folles et surtout le film qu'en a tiré Édouard Molinaro en 1978.
Et le Nouveau dictionnaire de la langue verte de Pierre Merle de préciser pour sa part:Follitude n.f. S'assumer pleinement en tant que folle (homosexuel très extraverti). Depuis son apparition en 1999, le mot semble faire son nid, notamment chez les homosexuels. "Le queer et le camp sont à la mode, et même si personne ne propose de traduction véritable à ces deux anglicismes fourre-tout, on peut raisonnablement suggérer le terme de follitude." (supplément Nova Magazine "Gay Pride 99, juin 1999). Remarque: de coolitude à beaufitude, les créations plus ou moins spontanées de substantifs en "-itude" sont devenus légion de nos jours. Souvenons-nous de la bravitude (bravoure, acte de bravoure) servie par Ségolène Royal, alors candidate à la présidence de la République, le 6 janvier 2007, lors d'un déplacement en Chine.
On voit combien d'un rédacteur à l'autre, le terme devient moins péjoratif. On est passé d'une valeur très péjorative dans le Robert, à une description plus neutre dans le Larousse, à un sens tout à fait positif chez Pierre Merle. Et ce, bien que Pierre Merle ne fasse qu'attester de la signification du terme - mais même dans sa définition, il reste neutre -, et bien que les homosexuels aient tendance (comme les Noirs avant eux) à se réapproprier le vocabulaire négatif qui les désigne et est employé par leur oppresseur, en donnant à ces lexiques un sens cette fois résolument positif (confer la fortune du mot pédé).
Et en repensant à la folle perdue et à la folle tordue recensées par le Larousse, on se souvient soudain que c'était un des slogans d'Act Up-Paris à la Gay Pride de 1995: Folles perdues, folles furieuses. On se souvient des chroniques de Michel Cressole dans L'autre Journal entre 1990 et 1991, Une folle à sa fenêtre. On se souvient de Copi en 1980, en grande folle, vanter la boisson Perrier en se fendant de ce mémorable "Fou, non?".
Et on se demande si folle aujourd'hui, au sein des homosexuels, connaît la même fortune. On a tendance à penser que le mot a repris une valeur dépréciative, que beaucoup d'homosexuels masculins ont intériorisé le sens péjoratif et souhaitent surtout s'en écarter, je veux dire: s'écarter des folles. En fait, la folle, l'homosexuel comme la femme, demeure pour tout le monde "un véritable scandale".
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