mercredi 14 avril 2010

Alone and lonely

Naaan, ce n'est pas décidément pas une épreuve de traduire… Il faut juste dresser un mur entre ce qu'on a dans les tripes et ce que le texte a dans les siennes. Juste un extrait ici, mais c'est comme ça dans les quatre pages du passage. Comme on dit en français norvégianisé: bong korasj! C'est-à-dire, tout simplement: bon courage!
On jouait au squash, Palle et moi. Ça remonte à plusieurs années. On s’entraînait régulièrement, parce qu’on était cousins, c’était la seule raison. On se retrouvait toutes les semaines, ça a duré un peu plus d’un an. Puis il y a eu comme un break : plus le temps passait et plus nos entraînements s’espaçaient, et pour finir notre sport en commun est, comme on dit, mort de sa belle mort. Sans que je comprenne tout à fait pourquoi. Tout ce que je sais, c’est qu’un jour je ne faisais plus de squash avec mon cousin. Le fait que nous soyons cousins n’était plus une raison suffisante pour qu’on se côtoie. On avait nos petites habitudes: on se retrouvait aux vestiaires, on se faisait un petit signe de tête, comme si on n’allait pas s’adresser la parole, comme si on voulait uniquement se changer en silence pour prendre ensuite la direction de la salle de sport. Sauf que quelques secondes après ce mouvement de tête mutuel, on engageait la conversation et c’était Palle qui parlait le premier: «Alors, comment ça va?» il demandait, et moi je répondais: «Ça va, ça boume. Toi ?» «Ouais, pas mal. Ça va faire du bien un peu de sport.» «Ouais, sûr.» Sur ce Palle pouvait se donner une petite claque sur le ventre et dire: «À force de me taper la cloche comme je l’ai fait ces derniers temps, j’ai vraiment besoin de cet entraînement. Vivian n’arrête pas de me mitonner des bons petits plats et c’est pas bon pour moi.» Ensuite c’était moi qui me donnais une petite claque sur le ventre, moi qui souriais, et moi qui n’avais pas grand-chose à répondre vu que je n’avais personne qui me faisait bien à manger, vu que je n’ai jamais eu quelqu’un. Tiens voilà le bus, il est arrêté au rouge. Et, souvent, je me tenais à côté de Palle devant la glace et je songeais: il est petit, gros et chauve, et pas moi, mais ça change quoi? Le bus passe le carrefour, se rabat devant l’arrêt, s’immobilise. Les portes s’ouvrent avec un souffle puissant. Je grimpe la marche, tends au chauffeur le billet de cinquante que je tiens dans la main. C’est une femme qui conduit, d’ailleurs. Il fait nettement plus frais à l’intérieur. Elle me regarde, me rend trente couronnes. Je vais m’asseoir dans le fond, sur un siège vide, près de la fenêtre, en fait un fauteuil à deux places, toutes les deux libres. C’est quand je ne suis pas en vacances que je vais vraiment bien. Le reste du temps je suis un homme seul, en costume gris, qui vais tous les jours au travail comme si rien ne s’était passé. Étant donné que c’est le cas. Il ne se passe jamais rien dans ma vie. Tout suit son petit train-train quotidien, rien ne change. J’arrive au boulot, je tire mon fauteuil, je m’installe devant mon ordinateur, et rien ne change. J’allume la lampe de travail, je prends une pastille pour la gorge, et il n’est pas rare qu’Anniken Ender se présente à un moment sur le seuil de la porte pour me demander si elle doit me rapporter un thé. Je fais signe que oui, je la remercie, et il ne se produit jamais autre chose. Anniken Ender revient avec la tasse de thé brûlante qu’elle pose sur la table, elle porte un pull fin. Je suis certes quelqu’un qui est facilement surpris, sauf que rien ne me surprend. Mais bon, ça ne porte pas plus à conséquence. Puisque c’est comme ça que je veux que ma vie soit organisée. Ça me plaît que mes journées soient bien calées, que tout roule comme je l’avais prévu, simplement, qu’il ne se passe pas trop de choses inattendues, imprévisibles. Toujours est-il que maintenant j’ai trois semaines de vacances. Hier, je suis allé dans un café. Je me suis offert un smörrebröd aux crevettes. J’ai donné la chaise vide en face de moi à une femme que je ne connaissais pas. Il n’en restait plus qu’une dans tout l’établissement et c’était pile celle en face de moi. J’ai payé mon smörrebröd et je me suis tiré de là. Après je me suis dit: ça n’en valait décidément pas le coup.
© Gjøre godt, Trude Marstein, Gyldendal Forlag, 2006
© Faire le bien, traduit par Jean-Baptiste Coursaud, éditions Stock, 2010


Et du coup, on écoute forcément en travaillant le flippant sur les bords I'm Alone de Boris Gardiner (soit dit en passant, du revive comme on l'adore) - histoire de être bien en phase avec le texte, de trouver exactement le bon vocabulaire - et au final de se retrouver plombé bien comme il faut. Super.

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