vendredi 16 avril 2010

Pum Pum

Au réveil, vers 6 heures, je savais que j'allais traduire ça - c'est maintenant fait:
J’ai l’impression de m’être retrouvé, beaucoup trop souvent dans ma vie, au bord d’un lit où j’ai imploré une fille d’accepter de coucher avec moi. Et, encore une fois dans ma vie, je viens de renoncer à pouvoir coucher avec quelqu’un.
© Gjøre godt, Trude Marstein, Gyldendal Forlag, 2006
© Faire le bien, traduit par Jean-Baptiste Coursaud, éditions Stock, 2010


Et donc, au réveil, sachant pertinemment que j'allais traduire ça, je me suis retrouvé avec cette chanson de Flowers & Alvin dans la tête (pour mieux se mettre dans l'ambiance? mais aussi dans l'ambiance lexicographique?), In A De Pum Pum, hélas introuvable sur toitube ou sur un quelconque serveur pour le mettre en écoute ici. Il ne reste plus qu'à s'acheter la compilation de Trojan où le morceau figure, intitulée Trojan X-Rated Box Set.

[04082010. Et grâce à l'insistance d'un certain ours en peluche, on a recherché à nouveau et on a trouvé la vidéo sur toitube, mise en ligne 8 jours après ce post. Comme quoi tout arrive, il faut juste être patient. On regarde.]



Elle parle de quoi, la chanson? Je cite:
"Why won't you pum / sister won't pum it up / make me do my work myself / why won't you push it up / sister won't you push it up / make me do my work myself / why won't you rub it up / sister won't you rub it up / why won't thing it up / sister won't you thing it up / why won't pum it up / sister won't you pum it up / make my do my work myself"

C'est compris? Non? C'est quoi déjà, le titre de la compilation d'où le morceau est extrait? X-Rated. En bon français: Interdit aux moins de 18 ans. Donc? Porno. Grosso modo, les mecs dans la chanson veulent coucher avec une fille (sister), elle ne veut pas, conséquence: ils doivent faire le boulot eux-mêmes. Et le petit linguiste qui sommeille en moi d'être ravi de fournir une explication lexicographique et linguistique.
En anglais jamaïcain, ça veut dire quoi pum et pum pum?
Le urban dictionary nous donne la réponse. Je copie/colle:
Jamaican term for the female sexual organ
Deux exemples sont notamment indiqués, je les cite également:
• yo that gyal needs her pum pum ram up good!
• claire asked me 'do u lick pum'? then i slapped her!! an said no
Donc le substantif pum signifie chatte, con et le verbe pum pum veut dire baiser, niquer.

De fait, le reggae a offert au genre pornographique une discothèque éloquente. Et Trojan de lui consacrer d'ailleurs pas moins de deux compilations, la sus-nommée ainsi que Slack Reggae Box Set. Même les plus grands compositeurs ont versé dans le genre: Derrick Morgan ou Stranger Cole, par exemple.
Comme l'histoire de la cinématographie pornographique, la discographie pornographique est évidemment phallocrate (au sens propre!) et sexiste. Nombre de disques de reggae, après 1968, avaient pour pochette des filles lascives, sinon court vêtues en tout cas moitié à poil, histoire de mieux titiller l'instinct bassement sexuel (et forcément inassouvi? les pauvres!) des mecs. Rien de neuf sous le soleil, même jamaïcain: la fille n'existe que pour assouvir les besoins du mec. On a le droit de bâiller.
Dans les chansons, il n'est question que de pénétration - le moyen et la fin en soi, a priori, de toute forme de sexualité - et bien évidemment de la femme par l'homme. À croire que l'imagination et le fantasme sexuels des compositeurs ont un développement équivalent au cerveau d'un protozoaire. Et, comme je le disais à l'instant, la femme est évidemment une chaudasse et l'homme évidemment un étalon capable de chevaucher une armée d'amazones sans un seul instant flancher. On a le droit de rire.

Ça c'est l'image superficielle. Car, heureusement, à notre immense joie, la réalité n'est pas si univoque. Ainsi de ce morceau In A De Pum Pum, où la fille ne veut pas. Ainsi de Khaki, la reprise par The Tennors de leur propre morceau hyper connu Ride Your Donkey, où dans la première il est indiqué que la seule possibilité de sexualité qui reste aux chanteurs demeure la masturbation.
Mon journal, la TAZ, avait consacré en 2007 un long article, aussi passionnant qu'éclairé, sur la question du reggae pornographique, ou slackness en anglais jamaïcain. Klaus Walter, le journaliste, citait notamment la féministe Carolyn Cooper, professeure de littérature à l'Université de West Indies, chercheuse notamment sur les questions de la culture musicale et reggae. Pour elle, le slackness, c'est-à-dire ce côté cul, porno, n'est autre qu'une "réappropriation du langage par les classes défavorisées (…), une révolte métaphorique contre la loi et l'ordre, une implosion des standards de la décence." De plus, pour elle, les femmes sot par ailleurs fondamentalement "des agentes [ou actrices, dans le sens de celle qui conserve la maîtrise et le pouvoir] libres et actives de leur sexualité". On peut lire un extrait de ces travaux passionnants ici.
Un bémol tout de même. Le discours de Carolyn Cooper est aussi une réappropriation du stigmate, un empowerment comme on dit si bien en anglais: un façon, ici rhétorique, de redonner de la fierté et donc du pouvoir. Car on ne peut ignorer que, quand même, l'écrasante majorité des morceaux de reggae puis de slackness (puisque c'est devenu un genre musical à part entière dans cette musique) repose essentiellement sur une perpétuation de la domination masculine, et que les exemples de prise de pouvoir sexuel par la femme ou de représentation dépréciatrice de la sexualité masculine sont affreusement minoritaires. Et on ne parle même pas de l'évocation d'une sexualité homosexuelle - pour le coup atrocement absente.

On ponctuera ce post sur la luxure et le stupre (comme on disait autrefois) avec ce morceau des Soul Sisters, un classique dans le reggae, Wreck A Buddy, où tout ce que veut la fille, c'est un mec pourvu d'un gros kiki. On écoute.




18-04-2010
La perspicacité de M. est non seulement sans limite mais aussi épatante qu'époustouflante. On en veut pour preuve son mail, reçu tout à l'heure:


Et, après vérification, M. a décidément raison. Ou en partie seulement.
Comme quoi ma connaissance du répertoire mouskourien est nulle. Est-ce grave, docteur?

Voyons ce que Trojan Records en dit (pas de mon incompétence (en 1 ou 3 mots, tout dépend si on le lit avec ou sans l'épithète qui suit) mouskourienne, mais du rapport entre Wreck A Buddy et L'Enfant au Tambour:
In 1969 reggae music continued to maintain a high profile with the skinhead cult, resulting in the Trojan album 'Tighten Up Volume Two' (TJCCD017 now available with tracks) entering the album chart. Among the classic tracks featured on the LP was the Soul Sisters variation of 'Little Drummer Boy' entitled 'Wreck A Buddy' (…)

L'enfant au Tambour est la version française, enregistrée en 1965, de Little Drummer Boy. On peut l'écouter ici (non! je ne mettrai pas Nana Mouskouri ici - la droite, ça suffit!). Mais l'original est en réalité une chanson de Noël très connue dans le monde anglo-saxon, composée en 1941, comme nous le confirme le Wikipédia anglais. Et allmusic de lister pas loin de 3000 enregistrements du morceau. Bon. Nous voilà bien renseignés.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt aux Soul Sisters et leur désir de grosses bites, puisque Trojan indique dans le suite du développement supra:
(…) 'Wreck A Buddy', a song also covered by Prince Buster who had expressed his desire to 'Wreck A Pum Pum'.
Et donc, si les filles des Soul Sisters veulent se "taper un mec", Prince Buster ne veut pas la même chose (non, faut pas rêver non plus, hein), il veut lui se "taper une chatte". Or, le plus drôle, quand on écoute la version du Prince, c'est que pour le coup son interprétation est très proche de la mélopée mouskourienne. Et ça, c'est tordant! Mettre face à face la godicherie mouskourienne et la débauche busterienne. Hö!

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